Research focus and expertise
Les IAP chez les insectes : inhibiteurs de l’apoptose mais pas que !
L’apoptose, une forme de mort cellulaire programmée, joue un rôle clé dans le développement et l'homéostasie des organismes multicellulaires en contrôlant le nombre et l'organisation des cellules dans les tissus et les organes. Les protéines de l’apoptose ont fait l’objet de nombreuses études au cours des dernières décennies. Ces études se sont particulièrement concentrées sur les mammifères ou certains organismes modèles (e.g. le nématode Caenorhabditis elegans ou la mouche Drosophila melanogaster). Etonnement, les protéines de l’apoptose n’ont été analysées que dans un nombre limité d’espèces d’insectes, ce qui restreint notre compréhension de leur rôle physiologique chez ces organismes qui représentent pourtant 85% de la biodiversité animale. Des chercheurs de l’UMR BF2i, en collaboration avec les Universités de Leuven et d’Oxford, viennent de découvrir que, chez les pucerons, les protéines inhibitrices de l’apoptose (IAP) ont subi une grande expansion génique et des modifications structurales suggérant de nouveaux rôles pour ces protéines, en lien avec le grand potentiel invasif de ces insectes ravageurs des cultures.
L’apoptose figure parmi les formes de mort cellulaire programmée les plus conservées dans l’arbre du vivant et intervient dans des processus aussi divers que le développement embryonnaire, la métamorphose ou l’immunité. Chez tous les organismes, l’activation de l’apoptose semble impliquer un même ensemble de protéines, parmi lesquelles les caspases (protéines effectrices de l’apoptose, capables de cliver de nombreux composants cellulaires) et les IAP (protéines inhibitrices de l’apoptose, capables de bloquer l’action des caspases et donc l’apoptose). Ces protéines n’ont été étudiées que chez une dizaine d’insectes, bien loin des 1 million d’espèces estimées ! Pourtant, grâce à des initiatives récentes comme le i5k (projet visant à séquencer 5000 génomes d’arthropodes), plus de 400 génomes séquencés d’insectes sont aujourd’hui disponibles, un nombre qui augmente de jour en jour et rend envisageable des études élargies à un nombre beaucoup plus conséquent d’organismes. La présente étude, publiée le 7 décembre 2020 dans la revue PNAS, est la première à analyser d’un point de vue évolutif et fonctionnel la voie de l’apoptose chez un insecte hémiptère, le puceron du pois, Acyrthosiphon pisum. Elle a permis la découverte d’une amplification exceptionnelle des IAP et de l’émergence de nouvelles fonctions chez cet insecte.
L’ordre des hémiptères regroupe près de 100 000 espèces d'insectes (e.g. punaises, aleurodes, pucerons, cochenilles, cigales) se nourrissant de la sève des plantes. Parmi ces espèces, beaucoup sont de redoutables ravageurs des cultures, qui s’attaquent aussi bien aux plantes destinées à l’alimentation humaine qu’aux espèces fourragères ou ornementales, avec des conséquences économiques importantes. Comprendre comment réguler les processus apoptotiques chez ces insectes pourrait ouvrir la voie à de nouvelles méthodes de contrôle de leurs populations. Cette opportunité prend notamment toute son importance dans le cas des pucerons, qui sont bien connus des agriculteurs comme des jardiniers amateurs pour leur exceptionnel potentiel reproductif (chaque femelle peut se reproduire de façon clonale, donnant naissance à plus de 90 clones d’elle-même en l’espace de quelques jours) et leur forte résilience face aux stress en tout genre (e.g. prédateurs naturels, déshydratation, champignons, pesticides).
En se focalisant initialement sur le puceron du pois, les chercheurs de l’UMR BF2i ont découvert que la voie de l’apoptose est réorganisée, avec des différences remarquables par rapport aux autres espèces d'insectes étudiées jusqu’ici, notamment l’insecte modèle par excellence, la drosophile. Chez le puceron du pois on retrouve une diversité de caspases inférieure mais surtout une expansion considérable de la partie inhibitrice avec 28 IAP identifiés, bien plus que les quatre à sept trouvés chez les autres insectes. L’expression des différents IAP du puceron du pois varie en fonction de l’âge de l’individu et du tissu considéré, suggérant une diversification fonctionnelle. En particulier, cinq IAP sont spécifiquement induits dans les cellules qui hébergent les bactéries symbiotiques chez les insectes, les bactériocytes. Chez les pucerons, ces cellules contiennent une bactérie symbiotique obligatoire, Buchnera aphidicola, qui produit des acides aminés et vitamines essentiels à la survie et à la reproduction de leur hôte. Des expériences d’expression hétérologue réalisées dans l’œil en développement de la drosophile ont montré que ces cinq IAP du puceron du pois ont des potentiels anti-apoptotiques différents. Notamment, les IAP possédant le potentiel anti-apoptotique le plus fort présentent une duplication de domaines protéiques qui n’avait jamais été observée auparavant. Ces résultats suggèrent que l’expansion des IAP du puceron du pois se serait accompagnée d’une fonctionnalisation d’au moins cinq d’entre eux dans la symbiose. Celles-ci pourraient protéger les bactériocytes d’un déclenchement trop précoce de l’apoptose, assurant ainsi le maintien des bactéries symbiotiques jusque dans les phases tardives de la vie de l’insecte et permettant un allongement de la vie (et indirectement de la période reproductive) des pucerons.
Une étude comparative, menée par l’équipe sur l’ensemble des pucerons ainsi que sur plusieurs espèces d’insectes dont les génomes sont séquencés, a confirmé que l’expansion et la diversification structurale des IAP observées chez le puceron du pois sont communes à tous les pucerons et semblent spécifiques à ce groupe. Ainsi, les pucerons possèdent en moyenne 17 IAP, qui peuvent s’organiser selon une douzaine d’architectures différentes, dont la moitié n’a été observée chez aucun autre organisme. Une telle amplification des IAP n’avait jusqu’à présent été observée que chez quelques espèces de mollusques, des invertébrés chez qui cette duplication est associée à la fonction immunitaire et la résistance aux stress.
Grâce à ces résultats on peut imaginer développer de nouvelles méthodes pour le contrôle des populations de pucerons, via une action sur les IAP qui viendrait perturber l’équilibre symbiotique, voire les capacités de résistance de ces organismes, mais n’aurait que peu d’impact sur les autres espèces en présence. De façon plus générale, cette étude, démontre que les acquis provenant des espèces modèles ne sont pas valables pour tous les membres du groupe des insectes, qui est le plus riche en termes de diversité. L'étude des bases génétiques de l'apoptose chez d'autres espèces d'insectes nous aidera ainsi à comprendre comment celles-ci ont pu évoluer pour répondre aux besoins distincts associés à des contextes nutritionnels, reproductifs et environnementaux qui leur sont spécifiques.
Références :
Ribeiro Lopes M., Parisot N., Gaget K., Huygens C., Peignier S., Duport G., Orlans J., Charles H., Baatsen P., Jousselin E., Da Silva P., Hens K., Callaerts P., Calevro F. (2020) Evolutionary novelty in the apoptotic pathway of aphids. Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 117, 32545-32556. doi : 10.1073/pnas.2013847117
Mais aussi :
Ribeiro Lopes M., Parisot N., Callaerts P., Calevro F. (2019) Genetic diversity of the apoptotic pathway in insects. Dans : Evolutionary Biology Book series: Evolution, Origin of Life, Concepts and Methods (ed. Pontarotti P.), 253-285, Springer Nature Switzerland AG. doi : 10.1007/978-3-030-30363-1_13