Axes de recherche et expertise
Le charançon serait-il schizo ?
Entretien réalisé par la Direction de la Communication de l'INSA Lyon (lien vers l'article : https://www.insa-lyon.fr/fr/actualites/decouverte-scientifique-charancon-serait-il-schizo)
Le charançon serait-il schizo ?
C’est ce qu’une toute récente publication tend à démontrer mais attention, il s’agit-là d’une belle schizophrénie puisqu’elle concerne une voie de signalisation immunitaire tout à fait inspirante pour l’espèce humaine. Entretien avec Justin Maire, doctorant à l’INSA Lyon au laboratoire BF2i, et premier auteur d’un article publié dans la revue Microbiome, le 8 janvier dernier.
Comment pouvez-vous résumer vos travaux récemment publiés ?
L’idée est de concevoir que les organismes vivants vivent avec beaucoup d’espèces bactériennes en eux et qu’ils ne peuvent subsister sans. Comment l’organisme se débrouille-t-il pour supprimer les bactéries pathogènes et maintenir les bactéries dont il a besoin ?
Au laboratoire BF2i, on a étudié le charançon pour tenter de répondre à cette question et on a découvert que cet insecte parvenait à compartimenter et isoler les bactéries qui lui sont bénéfiques, et encore mieux, qu’il utilisait une voie immunitaire unique pour à la fois combattre les bactéries pathogènes et maintenir et surtout contrôler ses bactéries bénéfiques. Ces recherches ont été réalisées sur le charançon Sitophilus, un coléoptère qui ravage chaque année champs et stocks de céréales. On savait que le charançon contrôlait extrêmement bien sa population bactérienne aussi bien au niveau de sa quantité que de sa localisation, et cette récente avancée nous permet aujourd’hui de démontrer que le charançon possède une « double personnalité immunitaire ».
En effet, une réponse immunitaire atténuée confine les bactéries bénéfiques à l’intérieur d’un organe spécialisé, le bactériome. En revanche, lors d’une infection par des pathogènes, le charançon met en place une puissante réponse immunitaire, appelée réponse humorale et systémique, qui n’atteint pas les bactéries bénéfiques, puisque protégées à l’intérieur du bactériome. D’une manière intriguante, ces deux types de réponses immunitaires sont médiées par une seule et même voie, la voie de signalisation IMD (Immune Deficiency). En inactivant cette voie par des expériences d’ARN interférence, nous avons montré qu’aucune des deux facettes immunitaires du charançon n’étaient fonctionnelles : d’une part, l’insecte ne peut plus combattre les bactéries pathogènes, et d’autre part, il perd le contrôle de ses bactéries coopératives, qui peuvent alors s’échapper du bactériome et infecter d’autres tissus. Cette voie avait déjà été décrite pour son implication dans l’élimination des microbes pathogènes, mais c’est la première fois qu’une telle dualité est démontrée.
Comment cette découverte scientifique peut-elle ouvrir la voie de la recherche chez l’humain ?
Cette découverte majeure dans le domaine des interactions entre organismes s’intègre dans la question générale de la discrimination entre bactéries pathogènes et bactéries bénéfiques. Si les mêmes voies de signalisation sont impliquées, comment un organisme peut-il alors faire la différence entre ces deux types de bactéries ? Cette question prend tout son intérêt dans l’étude de la flore intestinale chez l’humain, composée elle aussi de nombreuses bactéries symbiotiques, et parfois perturbée par des bactéries pathogènes ingérées. De nombreuses pathologies, telles que des troubles gastrointestinaux, certains cancers ou encore la maladie d’Alzheimer peuvent trouver leurs origines dans des troubles de la flore intestinale et l’étude de ces interactions symbiotiques permettra certainement d’améliorer la compréhension de bon nombre de ces pathologies.
A 24 ans, vous êtes publié pour la première fois comme premier auteur, et cela au cours de votre dernière année de thèse. Votre sentiment ?
Cette publication marque le début de ma carrière scientifique, et j’en suis bien évidemment fier. J’ai travaillé sur cette publication avec 4 autres personnes dont mes deux co-directeurs de thèse, Abdelaziz Heddi et Anna Zaidman-Rémy. Le terme « 1er auteur » signifie que j’ai réalisé la majorité des manipulations et les premières versions d’écritures, qui ont pu être amendées par la suite par mes directeurs de thèse. Je ne suis pas parti de rien, j’ai poussé plus loin les premiers travaux de recherche du précédent thésard du laboratoire, Florent Masson, qui avait déjà caractérisé des réponses immunitaires contrastées en fonction du type de bactérie. Mes travaux ont pu démontrer le rôle d’une voie immunitaire unique et ouvrent un champ de recherches sur des régulations alternatives qui, à travers cette voie IMD, permettent la mise en place de différentes réponses immunitaires.
Ingénieur INSA diplômé du département Biochimie et Biotechnologies, pourquoi avez-vous choisi la voie de la recherche ?
J’avais fait un stage d’été au BF2i, durant lequel j’avais d’ailleurs rencontré Florent, et j’ai ensuite fait mon stage de fin d’études dans ce même laboratoire. Mon projet de base était de rentrer dans le domaine de la R&D dans le privé, et en biologie, une thèse est un fort atout pour ce type de projet. C’est aussi le fait de « fouiller par soi-même » qui a guidé mon envie de devenir docteur, en alliant du coup le profil recherche à ma casquette plus technique d’ingénieur. Je termine actuellement ma dernière année de thèse, avec deux autres publications en préparation, avant de voir ce que l’avenir me réserve.
Justin Maire1, Carole Vincent-Monégat1, Florent Masson1,2, Anna Zaidman-Rémy1, Abdelaziz Heddi1
1 Univ Lyon, INSA-Lyon, INRA, BF2I, UMR0203, F-69621, Villeurbanne, France.
2 Adresse actuelle : Global Health Institute, School of Life Sciences, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), Station 19, Lausanne 1015, Switzerland.
Remerciements
Ce travail a été soutenu par l’INRA, INSA-Lyon et l’ANR-13-BSV7-0016-01 (IMetSym).